La plus importante partie de mon temps est consacrée au négoce de vin. C’est un métier peu connu, pratiqué à Bordeaux avec une grosse partie de l’activité basée sur des vins dits « de place », ceux qui font la réputation de Bordeaux.
Si on ne connaît pas bien ce métier, c’est que la plupart des négociants de Bordeaux sont bien élevés, polis, discrets et que la plupart des règles qui régissent leur métier sont non-écrites et pour tout dire, quasiment incompréhensibles.
1er exemple : vous voulez acheter pour le distribuer, un cru qui a pourtant du mal à se vendre, si vous n’êtes pas dans le profil du vendeur, si vous n’êtes pas copain, niet. Cela m’est arrivé avec un cru qui, bien que connu surtout pour la liberté de langage de son propriétaire, n’a pas eu l’idée de me téléphoner ou de venir me voir pour m’expliquer pourquoi il ne voulait pas me vendre son vin ( en fait, c’était suite à une émission de télé). Le fait de ne plus distribuer ce vin ne m’a pas trop handicapé, et si ça se trouve , le futur propriétaire sera heureux de me proposer à nouveau son vin.
2ème exemple, plus douloureux pour mon amour-propre . Un grand propriétaire du Médoc qui était venu me voir accompagné d’un grand courtier pour comprendre la dynamique de la Rive Droite et avec qui je croyais avoir tissé des relations de confiance et amicales, désire cette année (très demandée) changer la distribution de son vin en passant de 120 ( ?) négociants à 60 ! Et je ne l’apprend pas par mon ami, mais parce que je n’ai pas été convié à un repas organisé pour ceux qui auront le plaisir et l’avantage de rester dans la distribution de ce vin.
Je vous explique ça en chiffres : pour le millésime 2004, 720 bouteilles à 6.50 euro de marge brute, il me reste à vendre 162 bouteilles (la demande n’était pas trop forte pour le 2004). Cette année, je vais devoir dire à mes 15 clients acheteurs du 2004 d’aller se faire voir ailleurs, même si ils m’achètent ce vin depuis 1999, date de première relation avec ce château .
Donc, cette année, en plus de passer pour un con auprès de mes clients, je vais devoir aller chercher ce grand vin chez un de mes concurrents pour les clients qui ont acheté chez moi un 2004 pourtant pas vendu d’avance, la preuve c’est qu’il en reste à Bordeaux au prix de revente conseillé (et ce n’est pas une critique puisque c’est la règle dans les années peu ou pas spéculatives, y compris pour mon vin)
Et cette année, en plus, je vais perdre 10 000 euros de marge ! Et pourtant, le responsable de tout ça n’a pas daigné ne prévenir, me préparer, m’expliquer en quoi moi et mes clients avaient démérité ! Cela remet le petit négociant à sa place, et me rappelle que je ne suis pas encore un incontournable, moi qui pensait pourtant être un peu utile à une marque à cause de ma « grande gueule ».
Bon, cela pour dire que lorsqu’en tant que négociant, je n’ai pas pu acheter les vins que m’offrait la propriété, c’était souvent parce que je n’avais pas les moyens financiers ou humains pour les vendre et que ce n’est pas par plaisir qu’un négociant n’achète pas un vin. L’inverse est hélas plus triste pour nous car il s’agit évidemment le plus souvent de marques fortes qui jouent à redistribuer les cartes. Le seul vrai reproche que je pourrai faire, c’est pourquoi ne pas faire ça dans un millésime difficile à vendre ? En 2004, ça aurait été moins sensible !
La bonne nouvelle, c’est que d’autres propriétaires vont pouvoir utiliser mon ressentiment à leur profit, et d’ailleurs ça tombe bien, aujourd’hui l’un de mes grands vins préférés est dans le Médoc ce cru qui m’a si bien reçu dernièrement.
JÃÂŒrgen 25/04/2006 10:05
Jean Luc Thunevin 24/04/2006 14:48
JÃÂŒrgen 21/04/2006 14:23
Rafaël 21/04/2006 13:47
Jean Luc Thunevin 21/04/2006 10:47